Sécurité sur le Tour de Romandie (article du journal Le Temps)

Le Temps / Lundi 23 avril 2012

Tour de Romandie, ou le défi de la sécurité du tracé

Par Ariane Pellaton
La boucle romande, estampillée UCI WorldTour, s’élancera mardi de Lausanne. Pour Richard Chassot, sécuriser le parcours relève de la prouesse. Il y voit un des challenges du cyclisme helvétique, au sens large

A l’orée des Grands Tours, le Tour de Romandie focalisera cette semaine l’actualité cycliste. Course de l’UCI WorldTour, le circuit le plus haut de la hiérarchie, il mettra en scène 160 coureurs, parmi lesquels le champion du monde en titre, Mark Cavendish, le vainqueur du Tour de France 2011, Cadel Evans. Et pourtant, comme chaque an, c’est une autre course que se livrent les organisateurs pour garantir la sécurité du parcours, le fédéralisme helvétique étant un relief à lui seul, et les routes ne pouvant pas être fermées en Suisse.

Sur la Boucle romande et ses 691,5 km, de Lausanne, à Crans-Montana, dimanche, en passant par Morges, La Chaux-de-Fonds, Montbéliard, Moutier, La Neuveville, Charmey, Bulle et Sion, ce ne sont pas moins de 170 motards bénévoles qui seront à pied d’œuvre. Auxquels s’ajoutent notamment les unités de gendarmerie, les bénévoles mis à disposition dans les villes d’arrivée. Chaque jour, 700 postes doivent être sécurisés. Un véritable marathon, qui a débuté de longue date. A collaborer avec les gendarmeries de chaque canton, soit sept, en plus des polices locales. «En juillet-août, pour chaque étape, je prends des photos de chaque îlot, carrefour, giratoire, passage à niveau», expose Philippe Rauch, en charge de la sécurité. «On avance photo après photo: là, il faut un homme, là, deux gendarmes – dans les endroits à gros trafic. Passer dans une ville comme Bule à 17h est un casse-tête chinois. Ces derniers week-ends, les motards ont repéré toutes les étapes, sur leur temps libre.»

Si la sécurité devient un souci prédominant, c’est que, comme l’image Philippe Rauch, «les îlots poussent beaucoup plus vite que l’herbe». Une prolifération qui ne semble pas près de s’arrêter. Ainsi, «Dompierre [village vaudois franchi en 2011] en comporte douze, auxquels s’ajoutent les routes latérales et les giratoires, ce qui représente 30 postes pour une petite traversée.» En douze ans, Philippe Rauch estime recourir à un quart de plus de personnel.

«Aujourd’hui, la sécurité coûte entre 50 000 et 60 000 francs par jour, soit près de 400 000 francs pour l’ensemble de la course», indique Richard Chassot. «Pour traverser Bulle un vendredi à 17h, il faut 100 personnes. L’organisateur local a trouvé des bénévoles. Nous n’avons ni l’effectif ni le budget.» Pourtant, les organisateurs se refusent à tout compromis, dans la limitation des dangers. «Une sécurité ne peut pas se gérer avec un budget», affirme Philippe Rauch. «Si j’ai un mort, je suis un assassin. En douze ans, le budget a triplé.»

Et si la sécurité est au centre des préoccupations, c’est aussi que les routes ne sont pas fermées. «Au Tour de Romandie, on peut bloquer la course dix minutes – le Tour de France a six heures», commente Richard Chassot. «La difficulté est d’avoir les derniers accès pour remonter sur des routes de traverse. On ne peut pas avoir 170 motards sur la course, avec le risque qu’ils ne parviennent pas à remonter le peloton.» Et cela quatre fois durant l’étape, pour se déplacer sur les points à assurer. Au niveau de l’UCI WorldTour, les Grands Prix du Québec et de Montréal ferment les routes, puisqu’elles se déroulent en circuit, comme le Grand Prix de Plouay et la Vattenfall Cyclassics. Le Tour de France, Tour de Pékin, Critérium du Dauphiné et Tour de Pologne ont également la chaussée privative. Directeur sport et technique de l’UCI, Philippe Chevallier n’imagine pas forcément de bloquer les routes complètement. «Ce qui importe, c’est la mentalité des gens, le respect du cycliste. Dans des régions comme les Pays-Bas, vous avez une course, la veille de l’Amstel Gold Race, qui se déroule dans la circulation. Il y a un tel respect que ça ne cause aucun problème.» Mais il en convient toutefois: «Ce qui est problématique, c’est les coûts énormes pour la mise en place de la sécurité et la police.»

L’accès des routes au cyclisme, Richard Chassot le considère en Suisse comme «le nouveau combat qu’on va devoir mener. Politiquement, on doit se défendre, pour dire que notre terrain de jeu, c’est la route. Quand vous voyez qu’aux ronds-points, il faut le double de personnes pour sécuriser le passage. Je ne pourrais pas arriver un jeudi à 18h sur le quai du Mont-Blanc. Il est difficile de prévoir un final dans des villes comme Lausanne en semaine. On doit construire le parcours par rapport à la densité du trafic. Dans l’Arc lémanique, c’est très compliqué. Bientôt, on ne saura plus où aller. Le Tour de Romandie parvient à arrêter des trains, à supprimer des passages à niveau, pour autant que les barrières ne soient pas informatisées. Il y a deux ans, nous avons payé 12 000 francs pour fermer l’autoroute à Genève. Des choses impossibles pour les autres courses, notamment chez les jeunes. Il faut une prise de conscience. La plupart des épreuves disparaissent, en raison de problèmes budgétaires. Or ceux-ci sont liés à la sécurité. On doit savoir si le cyclisme sur route peut encore exister. Accéder aux chaussées est une chose, sécuriser en est une autre. Ce sera le plus grand défi pour avoir du vélo en Suisse. Les Chinois et les Russes, eux, bloquent les routes.» Responsable des manifestations sportives du canton de Vaud, l’adjudant Pascal Fontaine dresse le même constat. «Au Grand Prix de Lausanne, les organisateurs vont jeter l’éponge. Il est très compliqué de mettre sur pied une épreuve en milieu urbain. S’il y avait une solution globale, on l’aurait trouvée. La situation pourrait être une menace, en Europe et pas qu’en Suisse, pour les courses sur route.»

Mais pour Richard Chassot, la sécurité des parcours renvoie également à la place du vélo en Suisse. «On a l’impression que la route appartient uniquement à la voiture. Avec les ralentisseurs, les ronds-points, même en vélo à l’entraînement, c’est de plus en plus dangereux. Je suis outré dans quasi tous les villages de voir ces aménagements pour ralentir les camions, où un gamin qui va à l’école se fait déporter au milieu de la chaussée. Ce n’est pas avec de tels aménagements que le vélo deviendra un mode de transport alternatif écologique.» Et de citer les pistes cyclables des Pays-Bas ou du Danemark. «C’est une priorité: il faut créer un lobbying politique au Conseil national, pour défendre le cyclisme sur route en général.

Si on veut plus de gens en vélo, on ne prend pas le bon chemin actuellement. Tout le monde se donne bonne conscience avec les Slowup [les manifestations régionales sans autos], mais ce n’est pas en en organisant tous les trois mois qu’on règle le problème du trafic de plus en plus important. Les gens n’abandonneront pas leur voiture, car rien n’est aménagé pour aller dans leur ville. Les Slowup connaissent un succès phénoménal, c’est bien la preuve que le vélo est le sport le plus pratiqué en Suisse. Or, on lui donne de moins en moins de place.»

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