Club cycliste fondé en 1933
Affilié à l'Association Cycliste Cantonale Vaudoise
et à Swiss Cycling.
C’est l’histoire d’un coup de foudre. Entre un homme et un vélo. Jusque-là, Patrick Seabase entretenait avec la bicyclette une relation essentiellement utilitaire. «Pour aller à l’école. Ce n’était pas une passion.» Puis, vers 23 ans, il a découvert l’existence du «fixie», vélo a priori abscons, sans freins et à pignon fixe, donc sans vitesses. Le Bernois a été séduit. Une attirance avant tout esthétique liée au caractère minimaliste de l’objet. «C’est brut. C’est ça qui me fascinait», dit-il. C’était il y a 5-6 ans. La mode du fixie s’ancrait aux Etats-Unis et notamment à New York, mais n’était pas encore arrivée jusqu’en Suisse. «Il m’a fallu attendre quelques semaines avant de pouvoir m’en procurer un.» L’addiction fut immédiate. Et, avec elle, le début de périples inédits.
C’est dans un café zurichois, par une douce après-midi du mois de mars, que Patrick Seabase nous a conté son histoire. Celle d’un gars à part. Passionné pour les uns. Timbré pour les autres. Un cycliste d’un autre genre. Qui a fait du fixie un vecteur de défis personnels. Au lieu d’en faire un usage citadin comme la majorité des adeptes de ce vélo épuré, il l’a désigné comme son compagnon d’escapades tortueuses et grisantes. Seabase a déjà douze cols à son actif, dont le fameux Stelvio. «En hommage à Hugo Koblet et son duel légendaire avec Fausto Coppi sur le Giro 1953. Cet aspect historique m’a fasciné et donné une certaine motivation, mais c’est aussi le caractère unique de ce col, très long et usant avec ses 48 lacets, qui m’a attiré. Il n’y en a pas d’autre comme ça dans le monde. Ce fut un effort considérable.» Il souffle – et souffre rétrospectivement – rien qu’à l’évocation de la chose.
Mais pourquoi ne pas l’avoir gravi avec un vélo de route normal? Pourquoi se faire plus mal encore avec un engin sans vitesses? «Pour moi, c’est plus motivant d’être désavantagé par ça et de faire le maximum. Il faut croire que j’aime cette notion de difficulté, de lutte contre moi-même.» Et celle de transgression aussi, visiblement. Le plaisir interdit d’une descente sans frein, à la griserie forcément décuplée. «Il y a l’adrénaline, la vitesse, mais aussi cette connexion entre le corps et le vélo. Sur un vélo comme ça, tu dois être connecté à 100% parce que tout ce que tu fais va l’affecter. Comme c’est un pignon fixe, le pédalier tourne dès que la roue tourne. Tu es donc obligé de pédaler en permanence, tu ne peux pas t’arrêter quelques instants comme sur un autre vélo. Tu dois pousser et tirer en même temps avec les pieds. Et pour freiner, il faut faire un dérapage avec la roue arrière.» De quoi user la gomme. Il sourit. «Heureusement, j’ai une bonne marque de pneus. Ils sont très solides. Mais il faut effectivement en changer plus souvent. Si tu fais des cols, tu as besoin de quatre pneus environ par mois.» Sauf qu’il concède être le seul marginal à se taper des cols avec un fixie.
La compétition, il ne la conçoit qu’avec lui-même. «J’aime le sport, je trouve ça très bien. Mais je ne suis pas quelqu’un qui vit de testostérone avec ce besoin de défier les autres, de transpiration avec les autres. Le vélo est pour moi davantage synonyme de plongée dans la nature. J’ai besoin de pouvoir me concentrer sur l’environnement. Avec, au centre, l’idée de concours avec moi-même sur cet objet minimaliste.»
L’appréciation des paysages, c’est pour la montée. Et elle est vitale. «Tu te fais tellement mal qu’il faut absolument avoir une certaine distraction.» S’offrir la possibilité de penser à autre chose qu’à la souffrance imposée au corps. A la descente, en revanche, l’évasion de l’esprit est impossible. Car synonyme de danger. «Tu es obligé d’être concentré à 100%. Il suffit d’une seconde d’inattention et, à la moindre petite pierre, tu freines brusquement, tu restes bloqué, tu fais la culbute et c’est l’accident. Or, comme tu as les pieds attachés aux pédales, tu fais un roulé-boulé avec le vélo.» D’abord pris pour un doux cinglé par le milieu, il a su obtenir le respect. «Pour les cyclistes professionnels, tu es d’abord perçu comme un «alien». C’est normal. Mais maintenant, ils apprécient ce que je fais.»
La dernière folie de Seabase, un voyage en Erythrée. Il s’est offert la descente d’Asmara, la capitale perchée à 2350 mètres, à Massawa, au bord de la mer Rouge. «C’est le seul pays d’Afrique possédant une culture du vélo. Je savais qu’ils avaient un «Giro d’Eritrea». J’avais vu des clips sur YouTube qui m’avaient fasciné en raison de la dureté des conditions avec la chaleur et la sécheresse.» Et c’est un ami producteur, dont la femme est Erythréenne, qui lui a montré des photos de la fameuse route. Et a déclenché le désir de ce projet monté avec une petite équipe réunie autour de lui. Ils ont commencé à franchir la muraille administrative de ce qui constitue l’une des plus dures dictatures au monde et n’étaient pas encore certains, en arrivant là-bas, d’avoir le droit de quitter Asmara. «On a finalement obtenu l’autorisation au bout de trois jours.» De ce périple dans ce pays de restrictions, de sa rencontre chaleureuse avec sa population, de ses 60 kilomètres de descente vertigineuse, il a fait un film pour lequel il a composé une partie de la musique. Son autre passion. Ce mélomane averti est un amateur de musique concrète ou acousmatique. Minimaliste, elle aussi. Avec ce film, avec ses projets – le prochain devrait l’emmener à Haïti –, il a trouvé le trait d’union entre ses deux passions.
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