Vaud, terre de Champion !

Vaud, terre de Champion !

Dans le monde du cyclisme helvétique, il y a les champions et les Champion ! D’un côté les as de la pédale, réputés ou anonymes, de l’autre les descendants reconnus d’une famille vaudoise qui nous a donné trois fameux coureurs: Pierre, l’aîné, trois fois champion de Suisse de cyclocross dans les années 1940-50 ; Roland, son fils, amateur en 1960-70, spécialiste de cyclocross puis de VTT ; Denis, le neveu, junior très prometteur et l’un des espoirs du cyclisme suisse dès la décennie 1970 ; enfin Roger, le plus jeune, issu d’une autre branche généalogique mais lui aussi immergé dans ce milieu de la petite reine qui a fait leur réputation.

Incontestablement les Champion ont marqué l’histoire du vélo dans notre pays. Pierre, le premier, né à Saubraz, s’illustra en devenant champion de Suisse de cyclocross en 1946, à Renens, après avoir battu, sous les yeux du Général Guisan venu en voisin, les Alémaniques Eugen Stricker et Ernst Kuhn. Il avait 24 ans. Il récidiva en 1948 devant le Lausannois Roland Fantini et Fritz Schaer et en 1951 devant Fantini et Martin Metzger. La saison suivante, à Fribourg, il termina deuxième derrière le Nyonnais Jean-Paul Bolay, auteur d’une belle surprise, puis quinze jours plus tard se classa 6ème du championnat du monde 1952 organisé à Genève, à 3’43 du grand spécialiste français Roger Rondeaux. Avec ce dernier, mais aussi ses compatriotes Robert Oubron et Joddet, il participa à de nombreuses épreuves internationales à l’étranger avec quelques belles victoires à la clé. Devenu fonctionnaire à l’Etat de Vaud, Pierre Champion fut le dernier gardien de la prison du château d’Aigle, en 1967. Il fut membre du Cyclophile lausannois puis du VC Les Aiglons Renens et porta le maillot de l’équipe Tigra. Il est décédé en août 2013 à 91 ans.

Roland, fils de Pierre, né à Lausanne en 1947, fut lui aussi un très bon coureur amateur sous les couleurs du Cyclophile Aigle. Sur route, il signa plusieurs succès régionaux, avec neuf titres de champion vaudois à son actif. Il fut surtout champion romand de cyclocross en 1966 et 1970, entraîné par son père, comme d’ailleurs son compère et néanmoins rival aiglon Marcel Cheseaux, avec lequel il écuma les épreuves en Suisse romande. Il s’illustra surtout dans les manches de l’Omnium genevois puis de l’Omnium romand organisé par l’ACV. Comme ceux de son époque, il eut toutefois du mal à rivaliser avec les meilleurs alémaniques, devenus de véritables spécialistes formés à l’école d’Albert Meier.
    - J’étais toujours en concurrence avec Zweifel qui faisait ses débuts à cette époque. A deux reprises j’ai été sélectionné pour les Mondiaux, mais en réserve. Avec les Suisses alémaniques,  c’était pas facile car il fallait les battre jusqu’au dernier jour pour espérer être titularisé ! confesse-t-il.
Après avoir pris ses distances avec la compétition durant dix années (de 25 à 35 ans), il y est revenu par le biais des épreuves cyclosportives, dont la fameuse Marmotte, en Savoie.

C’était aussi l’époque des débuts du VTT et il découvrit les émotions fortes d’une nouvelle discipline, la descente !  Devenu quadragénaire, il s’y est mis avec l’enthousiasme d’un débutant. Il obtiendra deux titres mondiaux en catégorie masters, en 1991 à Il Ciocco (Italie), à 54 ans, et en 1992 à Bromont (Canada), couronnant ainsi en beauté une carrière de près de quatre décennies.

Denis est le neveu de Pierre et donc le cousin de Roland avec lequel il s’est « tiré la bourre » dans ses jeunes années. « Roland venait d’Aigle en vélo pour voir la grand-maman, à Saubraz, explique Denis. Il avait vingt ans et moi treize-quatorze ans, je ne sais plus. Et chaque fois qu’on se retrouvait, il fallait absolument que je roule devant lui ! J’ai gardé un bon contact mais on se voit assez rarement car il habite en Valais ». Un souvenir bien vivant dans la mémoire du cadet de la famille qui en rigole encore.

Très complet et doté de belles qualités, Denis Champion, né en 1955 à Saint George, se révéla chez les cadets et juniors dès les années 1970. Il fut considéré à l’époque comme l’un de nos coureurs d’avenir avec un autre Vaudois, Henri-Daniel Reymond, ainsi que les Genevois Serge Demierre, Gérald Oberson et Eric Doutrelepont. A l’aise sur route, il signa de nombreux succès dont le championnat vaudois (1971), le Tour du Pays de Vaud par étapes (1972), le Tour du Haut Léman (1973). Amateur, il fut aussi champion valaisan par équipes avec le VC St.Maurice qu’il avait rejoint en début de saison après avoir fait ses classes dès 1968 au VC La Côte, à Gland, sous les présidences de Jean-Paul puis Michel Savary. Le cyclisme de cette époque est resté ancré en lui. L’écouter le raconter, avec en prime son accent vaudois qui sent bon le terroir, est un vrai bonheur. Cela nous vaut cette anecdote savoureuse :
    - En 1973,  au GP de Vevey contre la montre par équipes, nous étions en tête avec le Zurichois Alex Frei. On avait une minute d’avance lorsque j’ai chopé une de ces fringales carabinées ! confesse-t-il. Nous avons terminé troisièmes et j’ai reçu une terrible engueulée de mon père… C’était un sanguin et on se frittait souvent. Il m’a dit que le lendemain il ne fallait pas compter sur lui pour m’amener à Genève pour disputer le Prix des Métiers du bâtiment, une épreuve par handicap ouverte à toutes les catégories. Il fallait que je me dém... Je suis donc parti à 4 heures du matin de St.George pour Lancy. J’avais la rage et j’ai gagné la course en résistant aux professionnels ! Ensuite je suis remonté à St.George à vélo. Ce dimanche-là mon paternel, qui était un fada de lutte, était parti pour assister à un tournoi à Yverdon. Et là-bas, quelqu’un lui a dit :
    - T’as vu ton gamin, à Genève ?
    - Quoi, mon gamin, qu’est-ce qu’il a encore fait ?
    - Eh bien il a gagné la course !
Mon père est tombé des nues. Et ma mère m’a dit qu’il tirait une gueule pas possible...

Comme ses ainés, Denis Champion s’est également illustré en cyclocross. Junior, il participa aux manches de l’Omnium genevois (2ème derrière le Vaudois Jean Vonlanthen) et glana quelques succès régionaux. Il fut champion vaudois de la discipline en 1973 et enleva à Vich cette année-là l’ultime manche de l’Omnium vaudois devant les Elite !

Chez les amateurs, il n’eut besoin que de trois courses pour récolter les points lui permettant de passer en Elite, en 1974, dans l’équipe Allegro où il côtoya les Michel Kuhn, Iwan Schmid, Robert Thalmann, Roland Schär et compagnie. Son adaptation fut toutefois rendue difficile par des problèmes de santé. Il réussit pourtant à signer de très belles performances dans les épreuves internationales par étapes de la Côte d’Azur, en 1977,  où étaient engagés Russes, Tchécoslovaques et Polonais : vainqueur notamment contre la montre tant à Vallauris (2ème au classement final derrière le Polonais Klimczyc) qu’à Cagnes-sur-Mer (4ème derrière le Français Biondi).

Fort de ces résultats encourageants, il espérait poursuivre sa carrière chez les professionnels mais à l’époque la Suisse était le parent pauvre du cyclisme. Marginalisés, les coureurs helvétiques galéraient pour trouver une place à l’étranger. Denis Champion était de ceux-ci. En 1978, via le directeur sportif Jean De Gribaldy, une opportunité s’était présentée en France chez Jobo-Wolber mais la porte s’était refermée. La saison suivante, la mort dans l’âme, il décidait alors de mettre un terme à sa carrière avortée, à 24 ans, et de reprendre son métier de mécanicien.

Après avoir travaillé deux ans pour les Cycles Reymond, à Lausanne, il ouvrit à Begnins un magasin de vente-réparation de deux roues (motos et scooters) qu’il transféra en 1986 et  installa dans ses propres murs, à Vich, sous l’enseigne Underground Bikes, toujours en activité à l’heure actuelle.

En 2012, Denis Champion a pris la responsabilité de l’Ecole de cyclisme de La Côte, créée par le VC Nyon. Il est aussi le responsable technique du cyclocross national du 20 décembre à Colovray, en charge notamment du parcours.

Quant à Roger, né à Gimel en 1970, il est un cousin très éloigné. Lui aussi s’est essayé au cyclisme sur route mais il renonça à la compétition après deux saisons discrètes, sans jamais avoir été Elite. Il collabora quelque temps avec Francis Félix, l’entraîneur responsable de l’association vaudoise (ACCV) et fut le coach de la sélection romande au Tour du Pays de Vaud 2011.

Bertrand Duboux / 15.10.2015

Voir les sites  www.accv.ch  et  www.cyclocross.ch